La Pêche & les Pêcheurs ( 7 )
À Cauneille, la Pisciculture Larran Saint Jean
La guerre de 1870, en privant la France de l’Alsace Lorraine, fit passer l’établissement national de pisciculture qui avait été créé en 1852 à
Huningue, entre les mains des Allemands. Le repeuplement des rivières françaises, de plus en plus appauvries, imposait son remplacement. L’administration, après de
soigneuses études, choisit le confluent des Gaves pour y créer un nouvel établissement.
Elle dressa un cahier des charges pour un bail d’une durée exceptionnelle de
18 ans sur la mise à prix de 10.000 francs par an d’un droit de pêche comportant pour l’adjudicataire l’obligation de créer immédiatement un établissement représentant une valeur de 75.000
francs, terrain non compris, et de livrer annuellement à l’administration un nombre croissant d’alevins de saumons et d’aloses.
Pourquoi avoir choisi les Gaves et pourquoi les Larran Saint Jean ? Les textes les plus anciens, notamment le Cartulaire de Sorde, insistent sur l’abondance du saumon dans le Gave d’Oloron. Il en est de même sur le Gave de Pau. Le saumon qui recherche les eaux vives pour se reproduire, affectionne les frayères loin en amont de Peyrehorade. Au fil du temps, de nombreuses nasses et baros ont été installés sur ces rivières. À partir de 1882, Pierre Saint-Jean, conseiller municipal à Peyrehorade se rend adjudicataire des droits de pêche de ces Gaves, contribuant ainsi activement au dépeuplement de ces rivières. Dans le même temps, Pierre St-Jean qui est minotier et vice-président de la meunerie française, est associé à Nicolas dit Théodore Larran et son fils Pierre, aussi minotiers. Ils jouissent d’une solide assise financière et sont propriétaires de terrains jouxtant la rivière, très bien placés à proximité de leurs moulins. Ils obtiennent de l’administration des Eaux & Forêts, alors en charge des droits de pêche, le monopole de la location du lot de pêche de Peyrehorade en 1893 et jusqu’en 1911, à la charge de l’établissement d’une pisciculture dépendant de ce lot.
Ils se mirent immédiatement au travail, firent dresser un projet par M. Petit, Ingénieur en chef des Ponts & Chaussées des Landes et prirent les conseils de M.
Kuntsler, professeur à la Faculté de Bordeaux. À leurs frais, ils firent un voyage d’étude en France et dans les principaux états d’Europe afin de se rendre compte des conditions les plus
favorables à la réussite d’une telle entreprise.
Comme l’indique un long récapitulatif des dépenses engagées, signé du 15 octobre, les travaux furent terminés en 1895. Après le décès de Pierre Saint-Jean en
1897, c’est son gendre, Pierre Joseph Larran qui poursuivra l’entreprise de pisciculture.
L’établissement commença à fonctionner dès la campagne de pêche suivante. Aux dires des ingénieurs et pisciculteurs qui l’ont visité, cet ensemble "réalise un progrès notable sur tout ce qui
a été fait jusqu’à ce jour".
Située à une centaine de mètres en amont de la minoterie, entre la route départementale N°2 et le canal de dérivation du Gave de Pau qui alimente le moulin, la
pisciculture occupe sur 72 ares toute la superficie comprise entre le canal et la route, soit 120 mètres de long sur 60 mètres de large. Cet emplacement parfait, dont on peut penser qu’il fut
celui prévu pour la tannerie Mompez au début du XIXe siècle, était idéal à condition de le mettre hors d’atteinte des crues. On l’entoura donc de murs et de digues dont la
hauteur dépasse le niveau des grandes inondations.
L’enclos constitué est divisé en quatre parties : un terre-plein portant les constructions et trois bassins de plein air étagés en contrebas. En dehors de l’enclos, faisant saillie dans le
canal, un “encoffrement charpenté à parois grillagées” pour recevoir en eau courante les reproducteurs capturés aux approches de la saison de
frai.
Les quatre constructions sur le terre-plein sont constituées par le bâtiment d’administration, en façade sur la route, un bâtiment contenant les bassins d’alevinage et un bâtiment contenant la
pompe avec son moteur à pétrole et une cave pour un dépôt de glace pour réguler la température de l’eau dans les appareils d’incubation. Ce bâtiment est surmonté d’un beffroi portant deux
réservoirs pouvant contenir chacun 90.000 litres d’eau.
Entre le beffroi et le premier bassin, on a construit un puits de deux mètres de diamètre qui peut fournir de 40 à 50 mètres cubes à l’heure d’eau limpide du Gave,
filtrée dans le sable et le gravier. L’eau est refoulée dans l’établissement.
Les quatre appareils d’incubation creusés dans le sol du bâtiment d’éclosion peuvent recevoir à leur partie supérieure 150 mètres de grilles correspondant à un chiffre de 800.000
œufs. Au-dessous, au niveau du sol, une surface égale de bassins reçoit les alevins correspondants.
L’eau est distribuée par 800 robinets.
Un hangar de onze mètres par sept avec lui aussi quatre bassins, compose le bâtiment d’alevinage. Les trois premiers bassins sont destinés aux alevins ayant résorbé leur vésicule
et attendant leur mise en eau libre. Le quatrième bassin sert de dépôt de passage aux reproducteurs enlevés au réservoir du canal pour subir les opérations de ponte et de fécondation
artificielle.
Les eaux s’écoulent d’un bassin dans l’autre dans les bassins de plein-air et chacun peut recevoir en outre directement les eaux du canal comme celles en provenance du beffroi et des bassins
d’éclosion et d’alevinage. Chaque bassin peut être directement vidé dans le Gave.
En 1899, le vivier flottant de la pisciculture Larran avec sa cage mobile
pour les saumons géniteurs, sur le canal de dérivation du Gave.
L’établissement connaît un fonctionnement optimal et produira une quantité d’alevins supérieure au cahier des charges. Ainsi, en 1897, 4000 truites arc en ciel sont disséminées par le fermier du lot de Peyrehorade. En 1903 et 1904, la pisciculture tente la mise en incubation d’œufs de féra, de lavarets et d’ombles chevaliers. La plupart de ces tentatives d’introduction d’espèces étrangères se soldèrent par des échecs et on y renonça très vite. À partir de 1912, la pisciculture ne poursuivit plus que la production d’alevins de saumons. Cette production sera tributaire de la capture aléatoire de reproducteurs. Entre 1897 et 1911, les pêches extraordinaires destinées à la pisciculture ont permis la capture de 226 reproducteurs ( 109 mâles et 117 femelles ) soit une moyenne de 15 par an, ayant permis de fournir près d’un million et demi d’alevins, soit une moyenne de près de cent mille par an.
La suppression définitive des baros et donc, de la capture des reproducteurs signera la fin de la pisciculture.
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