En mars 1942, moins de trois semaines après le décès de Jean Rameau, Gaston Sorbets, rédacteur en chef de “L'Illustration” publie dans les pages de ce journal un article en forme d’hommage consacré à notre poète. C’est ce texte que nous reproduisons ici.
Nous avons choisi de l’illustrer notamment avec des photos de la Gloriette décadente qui devait abriter le tombeau du poète. Elles ont été prises par Marie Hélène Cingal presque soixante-dix ans après la disparition du poète.
oici un poète - et, par son abondance et sa fougue lyriques, un grand poète - qui meurt bien oublié, pis qu’oublié, dédaigné par ses contemporains, ce dont il se souciait peu d’ailleurs, car il menait depuis des années une vie retirée, mais intellectuellement active, loin de Paris, dans la thébaïde qu’il s’était aménagée au fond de ses Landes natales.
À ses débuts, entre les années 1880 et 1890, beau comme un dieu qui se serait fait ægipan, brun de poil et de peau, avec sa barbe bifide et bouclée, ses cheveux
follement ondulés, point trop gêné par une légère claudication, il avait obtenu des succès foudroyants dans les salons de la grande bourgeoisie parisienne, où il déclamait volontiers ses
vers.
Mais ces succès même et leur apparente facilité lui attirèrent maintes jalousies de confrères moins favorisés. Cependant, Jean Rameau ne se contentait plus de
s’exprimer en vers et composait des romans débordants d’une imagination féconde, brillants et faciles, qui eurent la faveur du public. L’Illustration en publia deux en 1893 et 1894 : “La
Rose de Grenade” et “La Chevelure de Madeleine”. À la fin de sa carrière, il en avait écrit cinquante et donné cinq à six mille contes et chroniques à des quotidiens et périodiques de Paris et de
province.
Pourtant le poète primait évidemment en lui le romancier et le journaliste. Son œuvre poétique est rassemblée en sept volumes : “Poèmes
fantastiques”, “La Vie et la Mort”, “La Chanson des Étoiles”, “La Nature”, “Les Féeries”, “La Lyre
Haute”, “Le Livre Ardent” et, en un huitième, “Beauté”, prêt à sortir [“Beauté” sera finalement édité en 1951
aux Éditions Jean Lacoste, à Mont de Marsan].
Les trois ou quatre plus récents de ces volumes, de même que la seconde moitié de ses romans et de ses contes, il les composa dans sa résidence landaise du Pourtaou
aux confins du Béarn, pour laquelle il avait un jour quitté la capitale sans esprit de retour permanent :
Le train hurle, ivre d’ombre, et halète. Paris
Fuit dans le noir, comme un vain songe qui s’écroule…
Adieu, boulevards drus embaumés d’âcre foule !
Adieu, salons ou l’âme a des poudres de riz !
Je retourne aux monts bleus où les âmes sont nettes,
Où les cerveaux sont clairs et les yeux transparents.
Je vais redemander aux tombes des parents
La douceur de vivre humble en des rythmes honnêtes.
Engouffrez-vous en moi, vents salubres et frais !
Verse à pleine urne, ô nuit, ta rosée en mes moelles !
Viens me rebaptiser dans ton fleuve d’étoiles,
Ciel profond de province où l’on sent Dieu plus près…
Nous avons indiqué quelle était la qualité de son lyrisme, un lyrisme flamboyant et fleuri qui négligeait volontiers la recherche de l’expression originale et rare mais qui le plus souvent se réalisait en poèmes admirables, vivants et vibrants, animés d’une pureté de pensée, d’une générosité de cœur, d’un enthousiasme qui s’épanouit surtout lorsqu’il chante son pays natal, ou sa maison, ou sa famille.
Cependant, vous chercheriez en vain le nom de Jean Rameau dans ces diverses anthologies de poètes contemporains où figurent par contre des écrivains
qui se sont libérés de la rime - pour eux un souci - et de tout rythme français - pour eux une entrave - ainsi plus forts que Monsieur Jourdain, pour qui “tout ce qui n’est pas prose
est vers et tout ce qui n’est pas vers est prose”, puisqu’ils ont trouvé, eux, une troisième façon de s’exprimer qui n’est ni de la prose ni des vers.
Jean Rameau souffrait de cet ostracisme larvé, mais cette souffrance se dissipait en sarcasmes qu’il rythmait et rimait avec vigueur. Avec fantaisie aussi, une fantaisie parfois exubérante et restée d’une étonnante juvénilité.
Songez qu’il avait quatre vingt quatre ans quand il traçait de son écriture ferme et rapide, ces lignes familières dont le fac-similé est ici réduit :
Le Baiser de Laline
Publié dans le journal l'Illustration de décembre 1896, un poème de Jean Rameau illustré par un beau cadre d'Alfons Mucha
Rêve d'enfant
Une souffrance de nature à éclipser toute amertume, une douleur atroce l’avait d’ailleurs atteint en 1916. Son fils unique avait été tué à Verdun…
Pendant plusieurs années, il s’effondra dans un silence total, et puis sa vitalité naturelle reprit le dessus. Et il se remit à la production de contes, de romans et
aussi, de poèmes - en même temps qu’il complétait l’aménagement et la décoration de sa grande vieille maison, qu’il ne quittait plus et dont il fit un étonnant musée qu’il enrichissait chaque
année et décorait de peintures et sculptures qu’il exécutait lui-même.
Son œuvre de prédilection était au surplus… son tombeau, sa “Gloriette” édifiée sur une éminence de son parc d’où l’on aperçoit la chaîne des Pyrénées.
C’est là qu'avait toujours rêvé de reposer définitivement cet aède inspiré, qui était sans doute devenu le doyen des poètes de France sans en être le moins jeune puisqu’il ne cessait de produire ; et l’on nous saura gré de donner encore quelques-unes de ces strophes récentes sur un sujet autour duquel tous les Français communieront : “La Prière du Pain blanc”.
Seigneur, dieu de bonté, Seigneur, dieu de justice,
Il me faudra mordre au pain terreux de l’Armistice…
Et voici l’humble vœu que je forme en tremblant :
Avant qu’un souffle noir d’En-Haut m’anéantisse,
Faites que je remange un morceau de pain blanc !
Un peu de ce pain blanc où notre blé de France
Infuse tant d’amour, de candeur, d’espérance
Qu’on va plus ferme au dur combat quotidien.
Oh ! trouver dans sa huche, aux heures de navrance,
Un peu de ce pain blanc qu’on jetait à son chien.
Seigneur, vivrai-je assez pour revoir sur ma table
Un beau croissant lunaire au vernis délectable ?
La guerre dure et plonge en nous ses crocs de fer…
Mais comme, au cours de ma carrière lamentable,
Tout ce qu’on peut souffrir, hélas ! je l’ai souffert,
Le ciel m’est dû. Vous m’y verrez, saints et prophètes…
Qu’on m’y donne pour prix de ces rimes parfaites
Un croûton de pain blanc cuit au four des Élus,
Sans palmes d’or, sans chœurs, sans fanfares, sans fêtes !
Et, pour mon paradis, je ne veux rien de plus.
Assurément, nous pourrions citer de lui nombre de poèmes qui ont plus d’originalité, plus de force, plus d’éclat, plus de vigoureuse perfection. Il n’y aurait qu’à puiser dans les vingt mille vers de ses livres. Mais ces strophes, écrites au premier jour anniversaire de l’armistice de 1940, ont le mérite de nous dévoiler en Jean Rameau le poète qui jusqu’au dernier jour de sa longue vie témoigna d’une si courageuse bonhomie, de l’amour de son pays, d’une foi simple, robuste, du plus continuel et plus bel élan, d’un souffle qui paraissait inépuisable et, pour tout dire en peu de mots, de la plus irréprochable santé morale et physique.
Visite au Pourtaou ( juin 2018)
Nous présentons ici une belle série de photos de ©Jeanne VALOIS prises lors d'une vistite organisée du Pourtaou.
Avec l'aimable autorisation de Jacqueline SARTOU.
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