11 juillet 2010 - À travers les Barthes

De l'Adour aux Gaves Réunis

'ai pris l'habitude d'aller chaque année en Espagne effectuer une "itinérance au long cours" sur les Chemins de Saint Jacques. Une rencontre fortuite m'a fait découvrir qu'une variante de ce pèlerinage passait dans mon village, à deux pas du seuil de ma porte. Saint Martin de Hinx, en effet, se trouve sur un chemin de traverse entre le Chemin du Littoral (Soulac-Bayonne) et celui de Bordeaux (Dax -Sorde l'Abbaye.)

Les pèlerins arrivés du Nord traversaient les marais, puis, à travers bois, gagnaient le lieu dit "La Fontaine des Douleurs". Ils remontaient ensuite sur Montauzet avant de redescendre en direction de Saint Martin de Hinx, passant à "Peynut" où ils se déchaussaient "en esprit de pénitence".  Ils atteignaient l'Hostellerie SOREY en face de l'église. Le lendemain, ils longeaient le ruisseau qui alimente le Moulin de Larribaou et celui d'Orta, et arrivaient ainsi à l'Adour en face de Rasport où un passeur les débarquait sur l'autre rive. Ils continuaient leur route par Orthevielle, et se dirigeaient ensuite les uns vers Peyrehorade et Sorde l'Abbaye, les autres vers le gué de Pardies, Hastingues et l'Abbaye d'Arthous.

En 2008 et 2009, les bons marcheurs de l'Association des Amis des Chemins de Saint Jacques des Pyrénées Atlantiques et leurs invités ont déjà fait revivre de Saubrigues aux rives de l'Adour ce "chemin oublié". Cette année, le Dimanche 11 Juillet 2010, ils vont suivre à travers les barthes les traces discrètes, presque effacées, des pèlerins des siècles passés sur un itinéraire reliant l'Adour aux Gaves réunis. Hastingues sera le cadre de notre pique-nique et l'Abbaye d'Arthous le terme de notre étape.

Et ainsi, de bon matin, à l'ombre du clocher de Saint Etienne d'Orthe, la petite troupe d'une trentaine de  pèlerins prend la direction des barthes ; Henri, notre "romieu", le pèlerin qui est allé à pied à Rome, trottine gaillardement à nos côtés. Une brève halte au niveau d'une porte à flot permet de se faire expliquer le fonctionnement de ces écluses ; le niveau des crues indiqué sur les façades des maisons de Rasport confirme que les barthes sont des zones inondables.

 

 

Les maisons sont coquettes, les jardins fleuris ; les digues de terre à fleur d'eau délimitent l'emplacement des bassins de ce port qui accueillaient autrefois les pèlerins qui franchissaient l'Adour dans les barques des passeurs.

L'ancien chemin de halage mène jusqu'à Port de Lanne où, là encore, des embarcations permettaient aux voyageurs qui avaient emprunté la voie romaine Lescar-Bordeaux de franchir le fleuve.

Inutile de chercher dans quelle direction se trouve l'Adour ! Il suit son lit capricieux et dessine une boucle qui nous enserre au Nord, à l'Ouest et au Sud : le cours du fleuve décrit un méandre serré comme une épingle à cheveux.

 

En progressant en ligne droite plein Sud, nous retrouvons bientôt ses berges à quelques encablures du Bec de Gave, son point de confluence avec les Gaves Réunis. Aucune ride ne vient troubler l'immensité de cette nappe d'eau étale ; malgré le ciel gris de ce début de matinée, les grands arbres qui se dressent sur les berges s'y reflètent avec netteté.

Au milieu de ce magnifique écrin de verdure, la nature parfaitement domestiquée du parc du Château du Bec de Gave oppose un contraste saisissant. Les grilles ne jouent pas seulement le rôle de clôture : cette frontière sépare deux mondes, un paysage qui est l'aboutissement d'une évolution naturelle et une re-création imaginée par l'intelligence humaine qui impose son besoin d'ordre, de symétrie, d'équilibre. Et en longeant les Gaves, nous retrouvons encore sur la rive une végétation à l'état sauvage qui s'épanouit en un joyeux fouillis, et à l'opposé, dans les plantations de kiwis, la répétition à l'infini de rangées d'arbres rectilignes parfaitement parallèles.

Les Gaves réunis franchis à quelques encablures en aval de Pardies, nous pouvons nous lancer gaillardement à l'assaut de la bastide de Hastingues. À l'emplacement de l'ancien temple protestant, le lierre a presque dissimulé à notre vue une inscription gravée dans la pierre en I664 et qui sonne comme une fière devise : "Servir à Dieu, C'est régner"

À l'improviste “retentit tout à coup, comme un éclat de tonnerre, (une) étonnante nouvelle” qui vient perturber la sérénité de notre méditation, l'annonce de l'absence d'une de nos pèlerines. Françoise, armée de son portable (et d'une infinie patience) joue efficacement le rôle de standardiste au sein de la cellule de crise qui hésite encore à déclencher le plan rouge “alerte enlèvement”. Il faudra l'intervention décisive du Président pour faire réapparaître les deux vagabondes (l'éclipse de l'une, en effet, avait révélé au grand jour l'absence d'une autre brebis égarée) ; un goût commun (et peut-être immodéré) de la découverte du patrimoine local les avait précipitées dans l'exploration improvisée (et exhaustive) des lavoirs éparpillés au milieu des kiwis sur le territoire de la commune d'Orthevielle.

Motus et bouche cousue,  Pierre avait gardé pour lui un terrible pressentiment : n'avait-il pas pris connaissance, la veille, grâce au Centre Culturel du Pays d'Orthe, d'une légende locale bien inquiétante :
« Hastingues : La configuration du village, en forme d'escargot qui épouserait la forme de la colline sur laquelle il est bâti, a donné naissance à la légende du “Carcoilh” dont on dit qu'il sort parfois de sa coquille pour dévorer d'appétissantes villageoises ! »

Soulagement général ! Dénouement digne de la tradition du roman-feuilleton ! Après avoir goûté la griserie des espaces infinis, les "disparues des barthes" qui avaient choisi l'intrépidité buissonnière, seront retrouvées saines et sauves sous le porche de l'Eglise d'Orthevielle où elles s'étaient réfugiées pour implorer l'aide du ciel. Leur "Sauveur" prendra les traits de Bertrand. Finalement notre remake improvisé (et en version doublée) du best-seller d'Hitchcock "A Lady Vanishes" est moins un thriller qu'une aimable  et innocente comédie : "All's Well That Ends Well". La chèvre de Monsieur Seguin n'aura pas eu cette chance, et le loup l'a mangée !
Avec un grand sens de l'hospitalité réservée traditionnellement aux pèlerins en Pays d'Orthe, le "Carcoilh" avait dressé sur sa terrasse une longue table pour nous accueillir. Les provisions sorties des sacs vont se multiplier comme aux Noces de Cana; le vin rouge se changera en "pressions" bien fraîches…

Après l'incontournable photo-graphie de groupe devant la porte fortifiée d'Hastingues, c'est d'un bon pas que notre troupe bien requinquée s'achemine vers le cimetière à la sortie de l'enceinte de la bastide : on peut apercevoir Pardies en contrebas de l'éperon rocheux et le gué que franchissaient autrefois les pèlerins. Un sentier bien pentu permet d'apprécier l'ombre bienfaisante d'un petit bois ; le répit est de courte durée, et nous marchons maintenant en file indienne à découvert, en plein soleil, nous frayant un chemin au milieu des herbes hautes qui bordent le ruisseau d'Arthous. Bernard, armé d'une fine baguette dont le sifflement déchire l'air, d'un coup sec élimine efficacement les ronces sur notre passage. Virage à angle droit, et une sente étroite de forêt qui serpente en franchissant une succession de montagnes russes nous fait déboucher devant l'abside de la Collégiale ; le soleil éclatant nous permet de détailler tout à loisir les modillons où s'exprime en toute liberté l'imagination des sculpteurs du Moyen-Age très inspirés pour illustrer par exemple l'ivrognerie et la luxure. Dans la veine de ce même esprit, l'exposition "Anges ou Démons" dresse dans la cour une forêt de totems bigarrés aux couleurs crues, sculptures ésotériques sorties de l'inconscient tourmenté de Jacky Coville.

La visite de l'Abbaye est un enchantement, un film évoque le passage des pèlerins en Pays d'Orthe ; le Musée expose les coquilles de pèlerins trouvées à Pardies lors de fouilles archéologiques dans le cimetière. L'Église Saint Martin d'Igaas abritait une relique de l'évangélisateur de la Gaule : avant la construction d'un premier pont à Peyrehorade, Pardies était une étape importante pour les pèlerins, ils venaient  vénérer les reliques, être accueillis pour la nuit dans les bâtiments monastiques aujourd'hui disparus, et trouver au petit matin un gué pour franchir sans danger les eaux des Gaves : nul besoin de faire appel aux passeurs pour une traversée "au péril de leur vie" si ces scélérats avaient des raisons de penser que leur bourse était bien garnie.

Les pèlerins qui traversaient le Pays d'Orthe pouvaient choisir de se rendre à Arthous, mais également à Sorde l'Abbaye : pour couronner notre reconnaissance sur leurs traces, nous filons (en voiture) vers cette dernière destination : la Grange aux Dîmes y accueille l'exposition "Un grand champ de lin bleu" montée par le Centre Culturel du Pays d'Orthe et Maité Labeyriotte truffe de précisions toujours intéressantes cette visite, depuis la confection de la toile de lin jusqu'à la constitution du trousseau de la mariée. Cette éblouissante "Symphonie en blanc majeur" servira de conclusion à notre folle journée  de randonnée dans les barthes à la découverte des inépuisables richesses du Pays d'Orthe.

Pierre ROUSSEL

Cette marche a été organisée dans le cadre du programme des activités de

l'Association des Amis du Chemin de Saint-Jacques

des Pyrénées-Atlantiques

 

Tél. 05 59 37 05 09

39, rue de la Citadelle

64220 ST JEAN PIED DE PORT


Courriel : caminopa@hotmail.com

Site : www.compostelle.fr

Pierre Roussel remercie Bertrand, Marc et Henri qui lui ont adressé

les photographies qui illustrent son texte ainsi que le Centre Culturel du Pays
d'Orthe où il a trouvé la documentation nécessaire à la préparation

de l'itinéraire et aux commentaires distillés en chemin.