ur la rive droite du Gave d’Oloron, un peu en amont de Sorde-l’Abbaye, la falaise du Pastou accueillit une série d’habitats préhistoriques. Les mieux connus correspondent à la fin de la dernière glaciation, il y a 15 à 12 millénaires. Les hommes qui se sont alors installés sous les abris sous roche au pied de la falaise étaient des chasseurs-cueilleurs que nous appelons magdaléniens parce que leur outillage, la façon de le réaliser, leur mode de vie et leurs productions symboliques ( œuvres d’art, parures ) s’inscrivent dans un mouvement perceptible à cette époque dans une large partie de l’Europe et mis en évidence dès la fin du XIXe siècle à l’abri de la Madeleine en Dordogne.
Au pied de la falaise du Pastou, nous connaissons aujourd’hui quatre gisements. D’ouest en est, on peut distinguer Duruthy, Grand Pastou, Petit Pastou et Dufaure (Croquis ci-dessous). Tous furent découverts et fouillés dès la fin du XIXe siècle. Après plusieurs décennies d’abandon, ils connurent un regain d’intérêt à partir de la fin des années 1950 et jusqu’au début des années 1980 où de nouvelles fouilles furent conduites par Robert Arambourou, Lawrence G. Straus et Jean-Claude Merlet. Plus récemment encore, à l’occasion d’une exposition qui s’est déroulée à l’abbaye d’Arthous en 2006, le matériel recueilli au cours des différentes fouilles a fait l’objet d’un réexamen à la lumière des connaissances actuelles sur le mode de vie des chasseurs-cueilleurs magdaléniens du Sud-Ouest de la France. Ces nombreux travaux nous permettent de dresser un tableau fiable de la vie quotidienne de ces Hommes.
Quels Hommes ?
Pour bien comprendre, il faut d’abord rappeler que ces Hommes préhistoriques sont anatomiquement modernes et que leurs capacités intellectuelles sont les mêmes que les nôtres. Ce sont eux qu’on désigne souvent comme les Hommes de Cro-Magnon. L’aspect fondamental de leur vie quotidienne réside dans le fait qu’ils sont chasseurs-cueilleurs et non agriculteurs et/ou éleveurs. Leur vie est, de fait, très étroitement liée aux ressources fournies par leur environnement. La nécessité de se procurer, tout au long de l’année, de quoi subvenir à leurs besoins implique un mode de vie plus ou moins nomade. Il faut donc garder à l’esprit que les vestiges de campement découverts à Sorde correspondent à des séjours successifs, plus ou moins longs, qui n’excédaient pas quelques mois.
Quels paysages ?
Avant de revenir à ces Hommes, arrêtons-nous un peu sur leur environnement. Du point de vue de la géographie les choses ont peu changé depuis la fin de la dernière glaciation jusqu’à aujourd’hui, excepté que le fond des vallées s’est colmaté (le niveau des Gaves à Peyrehorade a pu s’élever d’une vingtaine de mètres) et que, d’autre part, le rivage atlantique était, pendant le Magdalénien, à une quarante de kilomètres environ à l’ouest de la côte actuelle.
Au contraire, le climat qu’ont connu les Magdaléniens est sensiblement différents de ce que nous vivons aujourd’hui puisque la période glaciaire s’est traduite dans le Sud-Ouest de la France par un abaissement de la température moyenne annuelle mais surtout une plus grande amplitude thermique, c’est-à-dire un écart plus important entre les températures les plus chaude et les plus froides de l’année. Parallèlement, la saison hivernale durait plus longtemps tandis que l’été devait être plus bref. Dans ces conditions, une large part des précipitations, même à basse altitude, ont la forme de chute de neige.
Ce climat conditionne un couvert végétal original et une faune adaptée. Globalement on peut retenir la plus faible emprise de la forêt au profit de vastes espaces steppiques qui abritent une faune où dominent les grands herbivores : Cheval, Auroch et/ou Bison, et Renne.
La chasse et la cueillette
Dans ce monde rude sans être inhospitalier, les Hommes préhistoriques ont développé des techniques et un mode vie performants où la chasse au grand gibier occupait une place prépondérante. L’exploitation du Renne est à ce titre tout a fait exemplaire puisque presque toutes les parties de l’animal sont utilisées : uu-delà de l’alimentation, la peau intervient dans la confection du vêtement, les bois et les os, dans la fabrication d’outils ou d’objets d’art, et les ligaments comme lien. Cependant, bien qu’on ait longtemps parlé d’Âge du Renne pour désigner cette période de la Préhistoire, cet animal n’a pratiquement jamais constitué la ressource unique des chasseurs-cueilleurs du Magdalénien. Au cours des fouilles de Duruthy et de Dufaure, de nombreux ossements d’oiseaux et des vertèbres de poissons ont été recueillis. Ils témoignent de l’intérêt porté à ces animaux et de la pratique d’une chasse au petit gibier ainsi que de la pêche dans les Gaves tout proches. Cette diversification des ressources exploitées s’est d’ailleurs amplifiée au cours du temps et elle est donc spécialement sensibles au magdalénien supérieur (il y a environ 13 000 ans) c’est-à-dire dans la couche 3 de l’abri Duruthy et dans la couche 4 de l’abri Dufaure.
Ces activités de chasse et de pêche nécessitent naturellement un équipement particulier, adapté au gibier et au paysage. Les outils en silex, en os
et en bois de Renne découverts dans les gisements de la falaise du Pastou permettent de reconstituer les armes de chasse parce que celles-ci furent construites, réparées et abandonnées sur
place.
Des pointes de sagaie en bois de Renne ont été retrouvées en grand nombre. Elles étaient utilisées emmanchées sur de longues hampes de bois. À leur base, sont d’ailleurs souvent
aménagés des biseaux qui rendaient l’emmanchement plus facile et plus solide. Parfois ces objets portent des décors, géométriques en général. Des harpons, eux aussi en bois de
Renne, ont également été découverts. De dimensions assez variables, avec un ou deux rangs de barbelures, ils devaient également être emmanchés et utilisés pour la chasse au petit gibier ou la
pêche ( Figure 3 ). Une autre catégorie de vestiges doit ici être mentionnée : Il s’agit des baguettes demi-rondes.
Ce sont des objets en bois de Renne de section hémi-circulaires. Elles portent parfois des décors très élaborés, aussi bien animaliers que géométriques. Certaines d’entre elles, accolées deux à deux par leur face plane ont pu être utilisées comme des sagaies.
Parallèlement à l’outillage en matière dure animale, une large partie de l’armement des Magdaléniens était constitué par des armatures en silex taillé. Il s’agit le plus souvent de petites pointes ou de lamelles à dos, maintenues par des préparations à base de résine, à l’extrémité de hampes en bois rendues ainsi plus vulnérantes.
Ces différents projectiles devaient être lancés à l’aide d’un propulseur qui permettait d’augmenter la force, la vitesse et la précison du tir. Bien qu’aucun de ces
objets n’ait été découvert au Pastou, il sont connus dans d’autres gisements de la même période et sont emblématiques des chasseurs de la fin du Paléolithique.
À coté de la chasse et de la pêche, les Magdaléniens devaient pratiquer la cueillette de baies sauvages, de tubercules ou de champignons.
Malheureusement, cette utilisation des ressources végétales reste difficile à reconstituer à partir des vestiges conservés et recueillis au cours des fouilles. Des comparaisons ethnologiques avec des populations de chasseurs-cueilleurs actuelles, permettent cependant d’être certain de la réalité de telles pratiques.
Les activités domestiques
La chasse, la pêche, la cueillette sont au cœur de la vie des Magdaléniens. Cependant, en amont et en aval de ces pratiques se trouvent d’autres activités tout aussi indispensables à leur vie quotidienne. Nous avons déjà évoqué la fabrication des armes de chasse en pierre ou en bois animal, mais plus largement, les mêmes matières premières et les mêmes techniques permettent aussi de réaliser d’autres outils. La taille du silex est la première activité dans la mesure où elle se trouve bien souvent au point de départ des autres.
Ainsi la fabrication d’outils en pierre est-elle nécessaire pour le travail de l’os, du bois animal ou végétal, de la peau ou simplement la découpe de la viande (Figure 5).
Figure 5 : Duruthy : Outillage en silex ( dessins M. Dachary )
1 à 3 : Burins dièdres. 4 et 5 : Couche 4 ( Magdalénien moyen ) : Grattoirs. 6 : Couche 5 ( Magdalénien moyen ? ) : Grattoir sur lame
retouchée.
7 à 9 : Couche 5 ( Magdalénien moyen ? ) : Lamelles à dos.
10 : Couche 5 ( Magdalénien moyen ? ) : Lamelles appointées
Les burins sont des outils indispensables au travail de l’os et du bois, les grattoirs servent plutôt au raclage des
peaux, les perçoirs à l’aménagement de perforations comme le chas d’une aiguille faite en os ou le trou de suspension d’un coquillage destiné à la
parure…
En dehors des sagaies, des harpons et des baguettes demi-rondes déjà mentionnés, les artisans magdaléniens ont façonné des alènes, des
aiguillesFigure 6), des poinçons, des lissoirs en os ou en bois de Cervidé destinés au travail des peaux. Cependant certains de ces
objets, comme les lissoirs souvent faits dans des côtes de grands herbivores ont reçu des décors à la fois élaborés et standardisés qui laissent imaginer que leur fonction n’est pas uniquement
techniques mais relève pour partie de pratiques symboliques.
Les préoccupations de l’esprit
Une des raisons qui a fait la célébrité de la falaise du Pastou, et tout spécialement du gisement de Duruthy, est la découverte, dès les premières fouilles, de nombreux objets d’art aussi bien en pierre qu’en matière dure animale. Nous pouvons les classer en deux grands ensembles : les objets utilitaires décorés et ceux qui ne semblent pas avoir d’utilité en dehors de leurs caractère d’œuvre d’art.
Parmi les premiers se trouvent essentiellement des outils en os ou en bois de cervidé : harpons, sagaies, baguettes demi-rondes, ciseaux, lissoirs (Figure 7 ci-contre). Naturellement, la fonction des décors qu’ils portent reste énigmatique. S’agit-il de motifs destinés à rendre reconnaissable un objet particulier parmi d’autres ? Les décors étaient-ils chargés d’un contenu symbolique destiné par exemple à rendre plus efficaces les objets qui les portaient ?
Le second groupe d’objets réunit des objets sans fonction technique apparente. Parmi ces vestiges se trouvent de nombreux éléments de parure : coquillages, dents animales percées ou rainurées pour permettre une suspension (Figure 8).
Une série très particulière de ce genre fut découverte dès la fin du XIXe siècle à Duruthy. Il s’agit de dents de grands carnivores (Ours et Lion des Cavernes) décorées et/ou percées et recueillies à proximité des restes d’un squelette humain. La présence de ces objets laisse imaginer que l’on a affaire à une véritable sépulture dans laquelle la parure de dents a joué un rôle symbolique. Ces dents constituent un ensemble sans équivalent dans les gisements magdaléniens du Sud-Ouest de la France. Il en va de même des statuettes de chevaux découvertes par R. Arambourou également à Duruthy.
Figure 8 : 1- Grand Pastou : Turritelle perforée. 2- Duruthy : perle en os.
3- Dufaure : incisive de cervidé percée.
4- Duruthy : canine de renard percée
L’une d’elle est particulièrement spectaculaire : taillée dans un bloc de grès, elle figure un animal complet (cheval) agenouillé (Figure 16).
Une autre, en ivoire, est limitée à la tête ( figure 10 ci-dessous ) mais offre un luxe de détails.
Au-delà de leur qualité esthétique et de la valeur symbolique qui leur fut sans doute donnée, ces objets nous rapprochent probablement de ceux qui les ont façonnés et admirés en
cela qu’ils nous montrent qu’à la fin de la dernière glaciation des Hommes modernes, les Cro-Magnon, loin de se contenter de survivre, ont bâti une véritable civilisation dont
les gisements de Sorde ont conservé le précieux témoignage.
1 - Galet gravé d'une tête de cheval et d'une flèche à double barbelure (Grand Pastou) Magdalénien IV. (Dépôt à Arthous)
2 - Contour découpé dans un os représentant un cervidé (Grand Pastou), Magdalénien IV. (Dépôt à Arthous)
3 - Bois de renne gravé. Bouquetin au galop (Grotte Duruthy), Magdalénien IV. (Coll. particulière)
4 - Frangment de bâton à trou en bois de renne avec tête de cheval (Grotte Duruthy), Magdalénien supérieur. (Coll. particulière)
5 - Fragment en bois de renne avec décor en bas-relief (Grotte Duruthy), Magdalénien IV. (Coll. particulière)
6 - Fragment de baguette demi-ronde (Grotte Duruthy), Magdalénien IV. (Dépôt à Arthous)
7 - Baguette demi-ronde en bois de renne gravé d'un oiseau (Grotte Duruthy), Magdalénien IV. (Coll. particulière)
8 - Bâton en bois de renne avec bouquetin des Pyrénées en bas-relief (Grotte Duruthy). (Dépôt à
Arthous)
9 - Tête de cheval sur ivoire (Grotte Duruthy), Magdalénien IV. (Coll. particulière)
10 - Pendentif en forme de cheval (Grotte Duruthy), Magdalénien IV. (Coll. particulière)
11 - Fragment de baguette plate avec décor gravé (Grotte Duruthy), Magdalénien IV. (Dépôt à Arthous)
12 - Baguette plate en os avec décor gravé (Grotte Duruthy), Magdalénien IV. (Dépôt à Arthous)
13 - Fragment de baguette plate avec décor gravé (Grotte Duruthy), Magdalénien IV. (Dépôt à
Arthous)
14 - Bâton en bois de renne avec décor en bas-relief (Grotte Duruthy), Magdalénien IV. (Coll. particulière)
15 - Lampe à graisse façonnée dans un galet de granit (Grotte Duruthy), Magdalénien VI. (Dépôt à Arthous)
16 - Cheval agenouillé (Grotte Duruthy), Magdalénien VI. (Coll. particulière)
* Morgane DACHARY est Chercheur à l’UMR 5608 UTAH - Équipe de Préhistoire de l’Université Toulouse-le-Mirail. Elle a dirigé notamment la réalisation de
“Les Magdaléniens à Duruthy”, expo et catalogue (Voir ci-dessous).
Contact : morgane.dachary@wanadoo.fr
Bibliographie
(Sous la direction de) Morgane Dachary, 2006, Chauvière F.X., Costamagno S., Daulny L.,
Gambier D. et Laroulandie V. “Les Magdaléniens à Duruthy”,
catalogue de l’exposition du même nom
( 7 octobre au 10 décembre 2006 ), 188 p.
Dachary M., 2006 “25 ans d’archéologie en Béarn et Bigorre (1979-2004)”
Vingt cinq années de recherche sur le Magdalénien dans les Pyrénées occidentales.
On trouvera l'article complet sur le sujet ci-dessus publié dans le numéro 11 de notre revue Orthenses.
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