Peyrehorade et le Tramway à Vapeur

"Dès le vote de la Loi du 11 juin 1880 sur les chemins d’intérêt local et les tramways, le département des Landes envisagea l’établissement des voies ferrées destinées à relier au réseau de la Compagnie des Chemins de Fer du Midi les cantons avoisinants non desservis par celui-ci" (In "Les voies ferrées départementales du Midi", Michel Turpin et Jean-Claude Riffaud).

Sur la ligne Bayonne-Puyoo, au cours de l’été 1863, Napoléon III avait fait le parcours Mousserolle-Peyrehorade, à 25 km/h. La ville, depuis l’ouverture de la ligne se plaint que "le bruit [du chemin de fer] est d’un effet désastreux pour la ville et pour le prêtre qui ne peut se faire entendre lors du passage des trains". Alors, lorsque dès 1880, la ville eut connaissance qu’un grand réseau interdépartemental était à l’étude, ce ne fut pas la joie. Nous commencions à peine à nous habituer au bruit du train, quelles nuisances allaient nous apporter l’arrivée d’un tramway à vapeur ?

Toutefois, il fallait bien que nous nous rendions à l’évidence, la voie fluviale perdait peu à peu son efficacité et justement depuis l’arrivée du rail. Dès 1893, se dessinèrent les premières lignes des tramways de Chalosse et Béarn. En 1905, Orthez/Aire et Dax/Amou. Pour nous, le 16 août 1907, la commune vote pour sa participation à la construction de la ligne Dax/Bayonne via Peyrehorade, et pour une période de 65 ans, la somme de 365 F par an à prendre sur les ressources ordinaires de la commune. Le 25 avril 1908, un avant projet est soumis à enquête publique. C’est sûr, le tramway traversera la ville.

DES RAILS À RAINURES

Très vite apparaissent "des erreurs et des défauts de concordance" qui portent sur le côté choisi pour l’implantation de la voie. Droite ? Gauche ? les techniciens disent à droite dans la rue Gambetta (sens Peyrehorade/Bayonne), le quai, la route n°29 depuis Majourau ! Nous répondons : gauche, à cause des rues qui débouchent sur la droite de la rue Gambetta … Il y a le problème des virages de Majourau où aboutit la voie privée de la minoterie. Pour ce qui est du quai, la cale du Sablot (qui n’a été établie primitivement que pour les besoins du flottage aujourd’hui totalement disparu) peut être facilement comblée … Mais il faudra bien passer par la rue Gambetta. Cette rue qui "rétrécit les jours de marché et pendant la grande saison de Biarritz et de Pau qui fait passer un flot incomptable de véhicules dont la vitesse est limitée à 8 km/h". Seconde critique : le ou les rails ? On nous parle d’un rail simple. "Ont-ils oublié, ces technocrates, les résultats déplorables qu’on connaît avec un seul rail". Nous souhaitons des contre-rails ou, mieux encore, des rails à rainures !

Elle partait de Dax, faisait halte au pont de Saint Pandelon, filait sur Bénesse, Pouillon, Gaâs, Cagnotte puis desservait successivement les arrêts facultatifs de Useré, Bédat, Jean Rameau, Lasserre et Guichalet. Elle coupait la voie du Midi, s’arrêtait, à la demande, à l’entrée de la rue Lembarry, avant d’atteindre le Sablot. La gare allait devenir la station la plus importante du réseau puisque la ligne secondaire Peyrehorade-Sauveterre avait été déclarée d’utilité publique le 11 janvier 1913 et qu’elle devait partir en tronc commun, par-dessus les Gaves Réunis, vers Saint-Jean de Luz par Cambo. Elle resta en fait un simple terminus, avec une remise à machine et un parc à charbon.

UN TABLIER JAMAIS POSÉ

La ligne Peyrehorade-Sauveterre devait courir sur 25,72863 km et enjamber la rivière. On planta alors les deux culées rive droite et rive gauche, puis on força les deux énormes piles de pierre en 1913. Elles ne reçurent la structure métallique du pont qu’à la fin de la guerre en 1918. Le tablier, lui, ne sera jamais posé ! À la sortie de ce pont, la ligne rejoignait la gare de Œyregave et c’est là qu’elle se séparait de celle de Saint-Jean de Luz. Viaduc ou remblai sur la si riche plaine alluviale ? Il était question d’un viaduc jusqu’au moment où, refaisant leurs calculs, les concepteurs découvrent que les calculs sont erronés quant à sa longueur et donc qu’il va falloir se rabattre sur une digue à pertuis… déjà ! Et voilà Œyregave qui proteste et en outre demande que la ligne passe près de ses fours à chaux. Et Sorde se dit déshéritée et voudrait que l’on dévie la ligne vers le bac de la Coudette où un port est à l’étude…

Au bout du Quai du Sablot, on aperçoit, en haut à droite,
la structure métallique du pont du tramway ( sans tablier ! )

de la ligne vers Sauveterre, au-dessus du Gave.

La guerre mettra tout le monde d’accord puisque aucun tramway ne traversera les Gaves… De discussions en discussions, le projet Peyrehorade-Sauveterre sera définitivement abandonné en 1928, et celui de Peyrehorade à Cambo, pour ce qui concerne les Landes, ne sortira pas des tables d’étude ! Aucune convention n’ayant pu être signée avant 1914, l’exploitation de la ligne Peyrehorade-Dax fermera, pour les voyageurs, le 14 janvier 1935. Les marchandises seront acheminées, dans un sens comme dans l’autre, jusqu’au 1er décembre 1937. Le tram aura vécu, le 17 juin 1939 !

LE TEMPS DE RAMASSER LES PIGNES…

Le trajet durait deux heures dans un sens comme dans l’autre. Un train par jour, dans chaque sens, et un supplémentaire le mercredi à la mi-après-midi, pour ramener sur Dax, les usagers du marché qui se seraient un peu attardés. Faut-il prendre au sérieux, ou pour une galéjade, qu’entre Guichalet et Jean Rameau, entre le pont de Saint-Pandelon et Bénesse, les voyageurs, pour se dégourdir les jambes, escortaient le train, tout en ramassant des "pignes" pour alimenter la chaudière !

Sur cette carte postale des années 1920, dans la traversée de Cagnotte,

on distingue bien les rails du tramway, longeant la route,

sans aucune séparation ni protection.

Les fous du volant ne sévissent pas encore…

La remarque reste valable pour la traversée de Pouillon,

sur les trois vues ci-dessous.

Peu à peu, après 1935, les traces du tramway à vapeur s’effacèrent. Lorsqu’on creusa la piscine, il ne restait qu’un modeste bâtiment, peut-être la halte, et quelques rails. La halte de Guichalet est encore debout. Le rail avait détrôné la navigation fluviale. La route était entrée en concurrence. Les derniers utilisateurs, à leur tour, s’en sont allés, presque tous.

On peut se permettre de penser que ce réseau des Chemins de Fer secondaire aurait pu assurer, de nos jours, un excellent trafic touristique.

L’armée est la principale cliente pour les éleveurs de chevaux. Régulièrement, elle procède à des opérations, dites de « remonte » où les éleveurs viennent présenter leurs bêtes dans l’espoir qu’elles seront aptes au service et payées un bon prix. C’est toute un pan de l’économie locale (élevage et maréchalerie) qui prendra un coup dur avec l’arrivée de la mécanisation dans l’armée et le repli des unités à cheval.
Le 27 avril 1915, un jeune mécanicien n’arrive pas à maîtriser la locomotive du tramway qu’il est en train de manœuvrer. S’ensuit une série de dommages sur le foirail. Jacques Capmas, agent voyer cantonal, dresse procès-verbal :

« […] nous soussigné, commissaire de surveillance des chemins de fer d’intérêt local et des tramways à vapeur du département des Landes, officier de police judiciaire, demeurant à Peyrehorade, dûment assermenté, certifie les faits ci après: le 27 avril dernier vers 13 heures 45 minutes, en l’absence du mécanicien, la locomotive n°5 du tramway de Dax à Peyrehorade, qui stationnait au-devant du parc à charbon de la station de Peyrehorade – Sablot, a été mise en marche par le jeune chauffeur Lalanne, âgé de 16 ans, et après avoir défoncé le butoir terminus de la ligne, elle est tombée sur l’avenue d’accès de la station où elle avait blessé une génisse et un bouvillon.
Nous nous sommes immédiatement rendu sur les lieux où nous avons constaté que la locomotive était en effet tombée sur le chemin d’accès de la station, où elle s’était enfoncée dans le sol jusqu’aux essieux, après avoir défoncé le butoir terminus de la ligne.
Auprès d’elle se trouvaient les animaux qu’elle avait blessés : une génisse dont la jambe antérieure gauche était complètement sectionnée au-dessous du genou et un bouvillon dont la cuisse postérieure gauche paraissait fracturée dans la région du bassin.
Nous avons en outre aperçu non loin de là un cheval portant plusieurs écorchures aux quatre jambes. Ce cheval, que l’on présentait à la Commission de remonte fonctionnant sur le quai au-devant de la station du tramway, avait été effrayé par le bruit de la locomotive et s’était précipité dans le Gave d’une hauteur de cinq mètres. En essayant de remonter, il s’était écorché les jambes en glissant sur le talus perreyé de la rivière.

Nous avons successivement interrogé le personnel du train, les propriétaires des animaux blessés et un témoin de l’accident, nous avons recueilli les dépositions suivantes.

1. le chef de train Dupeyroux
« Je nettoyais la voiture des voyageurs garée au-devant de la station, lorsque j’ai entendu des cris ; je suis aussitôt descendu et j’ai aperçu que la locomotive venait de dérailler et de tomber sur le chemin d’accès de la station. J’ai accouru sur les lieux : deux bœufs étaient en partie engagés sur l’avant du tablier de la locomotive ; dès qu’ils ont été retirés j’ai constaté que ces deux animaux : une génisse et un bouvillon étaient tous deux blessés ; la génisse avait la jambe antérieure gauche sectionnée au-dessous du genou et le bouvillon ne pouvait pas s’appuyer sur la jambe postérieure gauche ».

2. le mécanicien Boy
« Vers 13h 30, j’ai amené la locomotive au-devant du parc à charbon, j’ai aussitôt condamné le régulateur à l’aide du fil de fer disposé à cet effet, j’ai mis la vis de changement de marche au point mort, serré le frein à vis et ouvert les purgeurs des cylindres. Après avoir dit au chauffeur de charger le charbon nécessaire et lui avoir recommandé de ne pas toucher aux appareils de manœuvre, je me suis absenté quelques instants pour aller me faire raser. À mon retour, à 14h, l’accident venait de se produire.
J’ajoute que quelques instants avant mon départ, au moment où j’allais amener la locomotive de la fosse à piquer au parc à charbon, le chauffeur Lalanne m’a demandé de la lui laisser conduire. Comme il est encore trop jeune et trop inexpérimenté, n’étant en service que depuis trois jours, j’ai formellement refusé».

3. le chauffeur Lalanne ( âgé de 16 ans )
« Après le départ du mécanicien Boy, j’ai voulu essayer de mettre la machine en marche, comptant pouvoir l’arrêter aussitôt. J’ai desserré le frein, mis la vis de changement de marche dans la marche avant et ouvert le régulateur. Dès que la locomotive a eu démarré j’ai essayé de l’arrêter mais comme je ne pouvais y parvenir, j’ai sauté à terre, elle a pris de la vitesse et, après avoir enfoncé le butoir, elle est tombée sur le chemin où elle a blessé une paire de bœufs ».

4. M. Arnaud Lagouarde, propriétaire à Bergouey (PA)
« J’avais attaché une génisse et un bouvillon sur le bord du foirail de Peyrehorade et je regardais les opérations de la remonte, lorsque tout à coup j’ai entendu des cris et j’ai aperçu une machine du tramway arriver très vite vers moi, dépasser la voie et tomber sur le foirail juste à l’emplacement où se trouvaient mes animaux qui ont été en partie écrasés. Plusieurs personnes m’ont aidé à les dégager et j’ai constaté que la génisse avait la jambe gauche de devant coupée au-dessous du genou et que le bouvillon ne pouvait pas s’appuyer sur la jambe gauche de derrière. Ces deux animaux valaient ensemble 1100 francs ».

Dans les années 1960, subsistent encore

les deux piles du pont du tramway

sur la traversée des gaves Réunis. Elles serviront encore dans les années 1980 pour supporter la passerelle provisoire qui permet de franchir la rivière

pendant que se construit le nouveau pont.

Puis elles seront définitivement rayées du paysage orthois.

Feu le tramway !

Ce cliché daté de 1930 représente des Peyrehoradais aidant à la remise sur les rails d'une locomotive qui a… déraillé.

Nous ne savons rien ni du lieu, ni des conditions de cet accident si ce n'est que la présence des gens d'Orthe voudrait indiquer qu'il a eu lieu dans les environs.

S'agit-il du matériel de la Compagnie des Chemins de Fer du Midi ? De celui de la Minoterie Larran ? Pourrait-il s'agir d'une locomotive du tramway ?

Qui saura le dire ? L'enquête est ouverte.