La Pêche & les Pêcheurs ( 3 )
Pêcheurs & Braconniers
Comme un dépassement de vitesse, le braconnage est dans la suite logique de l’activité de pêche. Un ingénieur des Ponts et Chaussées faisait déjà remarquer le 15 novembre 1855, au sujet d’un baroliste: “[…] en présence des tendances du Sieur Senjean à se mettre en contravention, nous ne pouvons donner un avis favorable pour le maintien en cet endroit du barreau établi et qu’il devra construire son établissement adossé à la berge […]”
La même année, un rapport à Cauneille nous indique: “Les pêcheurs de ce gave [ne sont] pas innocents de toute manœuvre tendant à diriger le poisson dans leurs
filets. Mais, comme ceux de Sorde, ils savent adroitement dissimuler leurs barrages et les faire disparaître au besoin. Ils ont imaginé depuis peu, des barrages mobiles, composés de branchages
fixés à des cordes de vigne sauvage ou de chanvre; barrages qu’ils tendent la nuit et lèvent tous les matins. Si bien que la surveillance active du garde-pêche n’a pas encore pu trouver
l’occasion de constater ces manœuvres.”
Et, si l’on en croit un article paru dans “La France”, le 18 mai 1932: “le braconnage de la pêche dans le Bas Adour, la pêche de l’alose étant bientôt close, les
braconniers professionnels disponibles vont se livrer entre Port de Lanne et le pont de Tercis, à un braconnage intensif […] Ils établissent des
barrages qui ferment complètement l’Adour.”
L'importance du saumon est telle qu'au Moyen-Âge, la représentation de trois pêcheurs parmi une suite de métiers, figure
au tympan de la porte principale
de la cathédrale Ste Marie à Oloron. Photos Frédérique PANASSAC©
Certificats d’Indigence
Lorsque la pêche passe sous administration des Eaux et Forêts, en 1897, la répression s’intensifie et la situation empire pour les contrevenants qui subissent de
lourdes amendes, la confiscation du matériel et même la prison. Les hommes politiques de cette époque s’en émeuvent, “regrettant les mesures rigoureuses prises
contre les pêcheurs [ et prient ] l’administration préfectorale de surseoir à toute nouvelle mesure à leur égard jusqu’au jour où l’entente sera
complète à ce sujet entre le Ministre de la marine et le Ministre des travaux Publics.” (Conseil municipal de Peyrehorade 27 mars 1896)
Cemême Conseil municipal et le maire de Peyrehorade, Amédée Labarthe, qui distribuent généreusement les “certificats d’indigence” permettant d’échapper à la sanction. Car,
“tant que les amendes encourues ne sont pas soldées par l’incarcération, les comptables sont tenus de justifier de l’indigence des condamnés pendant une période
de trente ans.” Ce sont ainsi des listes entières de “pêcheurs indigents” qui sont fournies au Trésor Public, en 1901.
Le piment du Garde-Pêche
Mais qu’est-ce qui donne tout son piment au braconnage si ce n’est le garde-pêche? Certains, dit-on, ont goûté l’eau du Gave, mais certainement qu’ils n’y sont pas
allés aussi souvent qu’il y en eut la tentation, même si quelques condamnations pour coups et blessures ont sanctionné “l’agression” caractérisée sur un représentant de l’ordre public dans le
bassin de l’Adour et des Gaves et permettent de perpétuer les légendes. Le plus souvent, ce fut le demi-tour effectif opportun, la fuite chanceuse… et la solidarité indéfectible.
En 1988, un pêcheur de Sorde, Henri Pommiès, dit “Chinet” avait accepté de faire quelques confidences sur la période 1940-1950 où il fallait trouver
des expédients pour survivre et où la solidarité permettait des “expéditions” aujourd’hui impossibles:
“Mes parents appréciaient peu que je quitte le travail pour faire la pêche, mais en 1942, quand ils gagnaient 6 francs de l’heure, un saumon rapportait deux semaines de travail ! Le braconnier avait un avantage: on connaissait les lieux comme le fond de nos poches et, si on arrivait à prendre 5 ou 6 mètres d’avance, on s’en sortait. On avait un principe: le matériel, on l’abandonne et on s’enfuit. Puis on se retrouvait à un point de ralliement convenu d’avance. En 1946, les gardes avaient pris deux bateaux et les avaient amenés dans la cour de la gendarmerie à Peyrehorade. La nuit suivante, douze personne ont été les recupérer, guettant attentivement chacune des fenêtres de la gendarmerie.”
Les pêcheurs étaient organisés en équipes de deux ou trois personnes. Le premier saumon attrapé en novembre-décembre était mangé. Puis, avec l’argent de la vente des
suivants, une cagnotte était constituée pour financer les bateaux, les filets et… les amendes.
"un patron nous aurait payés pour faire ce qu’on faisait, comme d’aller dans l’eau en hiver, on n’aurait jamais accepté ! ”
Préparation du "lans" du filet sur les Gaves face à Hastingues
Tableau de Louis BERTRAND
Le braconnage demandait attention et à-propos: “Le matin, quand je venais relever les filets, si je n’entendais pas les oiseaux, je repartais. C’est qu’il y avait quelqu’un dans les parages.” Et puis aussi : “jamais fumer; jamais parler.” Et Chinet de conclure: “Si je n’ai pas quitté Sorde, c’est bien à cause de la pêche.”
Les marins de Port de Lanne
Une monographie paroissiale de 1889 nous présente cette population: “Tout un quartier de Lannes est habité par des pêcheurs, des
marins et des bateliers qui se mettent au service des armateurs de Dax et de Bayonne. Ces braves gens ne sont pas ennemis de la religion. Le prêtre est toujours cordialement accueilli chez eux;
mais ils n’usent guère des pratiques de la vie chrétienne. Ils ne viennent pour la plupart à l’église qu’aux jours des bonne fêtes et leur tenue y laisse parfois un peu à désirer. La population
du port ou quartier marin est presqu’entièrement composée de gens besogneux, vivant au jour le jour, mangeant et surtout buvant leur salaire à mesure qu’ils le touchent, sans jamais s’inquiéter
du lendemain. Ils comptent, en cas de maladie, sur les sociétés de secours mutuel et sur la charité publique.”
Dans les années 1920, Etchessahar (président) et ses collègues pêcheurs (Foret, secrétaire, Gayon, trésorier, Larbaigt et Lapègue, contrôleurs) montèrent la coopérative des pêcheurs de Port de Lanne ayant pour but l’achat du matériel, la location du dépôt et des frais divers, s’engageant à n’exploiter qu’une senne par foyer et à ne commercialiser le poisson que par l’intermédiaire de la coopérative. Les pêcheurs bénéficiaient déjà d’un semblant de caisse-maladie et tous pouvaient en faire partie mais, “la société ne saurait admettre les soi-disant pêcheurs qui n’exercent pas la navigation ou la pêche au titre professionnel.” On pouvait adhérer en tant que mousse “après avoir satisfait l’obligation scolaire” avec une cotisation de trente francs pour les armateurs et de quinze francs pour les autres.
Communes “marinières”
Il y avait des communes plus marinières que d’autres, même au bord de la rivière. À Orthevielle, on se souvient encore que vers 1925, les femmes des pêcheurs de Hastingues venaient trois fois par semaine, vendre du poisson pêché du matin même: saumons, pibales, plies brochets aloses selon la saison, qu’elles portaient dans des paniers posés sur leur tête, franchissant les Gaves par le pont du chemin de fer ! Mais on se souvient aussi que si on n’était pas pêcheurs à Orthevielle (Belin est le seul professionnel à cette époque sur la commune), on connaissait l’art de tendre les cordeaux à plusieurs lignes pour la pêche aux anguilles, qu’on allait relever à l’aube !
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